Séverine Vincent (AHU à la faculté d’Odontologie de Nice), Yves Charbit (MCU faculté d’Odontologie de Nice) et Pierre Marty (PU, Parasitologie, Faculté de Médecine de Nice)
INTRODUCTION
La cavité buccale humaine renferme une flore abondante et polymorphe de micro-organismes dont la majorité sont des bactéries. La santé gingivale est associée à des espèces bactériennes à Gram positif, appartenant aux genres Streptococcus et Actinomyces (1).
On y rencontre aussi des mycoplasmes, des virus, des levures et deux parasites en particulier (organisme vivant aux dépens d'un autre organisme vivant). L’un est flagellé : Trichomonas Tenax et l’autre est un rhizopode (amibe) : Entamoeba Gingivalis. Ce sont des protozoaires, c’est-à-dire des organismes eucaryotes, motiles et unicellulaires, rencontrés seulement sous forme végétative ou trophozoïte. Aucune forme de résistance, ni de kyste n’est décrite à leur sujet. Leur mode de contamination le plus habituel est le contage direct et leur développement s’effectue en anaérobiose plus ou moins stricte. Ils se nourrissent en phagocytant les microorganismes de la plaque, les débris alimentaires et les cellules de défenses (polymorphonucléaires) et se déplacent grâce à des pseudopodes (Entamoeba Gingivalis) ou à des flagelles (Trichomonas Tenax).
Il s’agit de faire le point sur ces deux protozoaires relativement méconnus, tant au niveau de leur possible implication dans la pathogénie des maladies parodontales, que dans les conséquences thérapeutiques éventuelles.
I/ LES PARASITES DE LA CAVITE BUCCALE : DESCRIPTION, PREVALENCE
Morphologie des parasites buccaux (2)
D’un point de vue morphologique, Entamoeba Gingivalis se présente comme une grosse cellule (30 à 50µm) où l'endoplasme granuleux est nettement distinct de l'ectoplasme clair formant de larges pseudopodes nets et actifs. Des vacuoles digestives contiennent de multiples corps étrangers : bactéries, débris cellulaires ou parfois encore la structure de noyaux altérés de polynucléaires et quelques hématies. Trichomonas Tenax se présente sous la forme d’une cellule piriforme, d’environ 5-10_m de grand axe, très mobile. Quatre flagelles antérieurs et un flagelle récurrent sont rattachés au corps cellulaire. Il possède un noyau et un cytoplasme contenant des vacuoles digestives (d’endocytose, de pinocytose ou de phagocytose).
Prévalence des protozoaires buccaux dans la cavité buccale
La fréquence d’Entamoeba Gingivalis et de Trichomonas Tenax dans la cavité buccale a fait l’objet de nombreuses publications, dont la majorité se situe autour des années 80. Sur 11 études (de 1960 à 2000), portant au total sur 3204 sujets, la présence d’Entamoeba Gingivalis est retrouvée chez environ 51 % des sujets pris au hasard. Toutefois, il existe une certaine disparité dans les résultats de ces études : prévalence allant de 10.3% pour El Hayawan et coll. 1992 (3) à 100% pour Linke et coll. 1989 (4).
Ces résultats se rapprochent de la méta-analyse faite par Lapierre et coll. 1973 (5) portant sur les études antérieures à 1973 et qui donnait un pourcentage d’infestation de 41% (8593 sujets, toutes populations confondues).
Dans l’étude de Feki et coll. de 1981 (6), sur les 300 patients examinés, 182 étaient parasités (soit 60,7 %) : 32,7% abritaient Entamoeba Gingivalis, 10 % Trichomonas Tenax, et 18% les deux. Pour Cambon et coll. en 1979 (7), sur 509 patients examinés, 80 % abritent Entamoeba Gingivalis et 30 % abritent Trichomonas Tenax.
Ces différences peuvent s’expliquer par la diversité des échantillons examinés (nombre de sujets, âge, sexe…) ainsi que la difficulté à détecter et identifier avec certitude l’amibe (examen direct sur échantillon frais, examen après mise en culture, examen par sonde PCR…).
II/ PARAMETRES INFLUENCANT LA VARIABILITE DES RESULTATS
II.1 Diversité des échantillons sélectionnés
Sexe
Le sexe ne semble pas avoir d’influence sur la fréquence des deux protozoaires et cette constatation fait l’unanimité des études publiées (4, 6, 7).
Age
Si certains auteurs évoquent une liaison statistiquement significative entre Entamoeba Gingivalis et l’âge des sujets : maximum d’infestation entre 30-34 ans (4), d’autres ne considèrent pas l’âge comme un facteur influençant le parasitisme de cette amibe (7). Concernant Trichomonas Tenax, la majorité des études le corrèle avec une incidence maximale entre 45-54 ans (4) ou 50-60 ans (7). La plupart des données concluent donc que l’endémie varie de façon significative en fonction de l’âge.
Etat dentaire
La présence des protozoaires semble être liée à celle des dents (ni Entamoeba Gingivalis, ni Trichomonas Tenax ne sont retrouvés avant l’éruption des dents temporaires ou chez l’édenté total).
L’HBD
Il convient de noter que peu d’études adoptent un indice international afin de classer les degrés d’hygiène (paramètre qualitatif) et que, pour la plupart d’entre elles, une classification en bonne, moyenne ou mauvaise hygiène paraît un peu simpliste pour en émettre toute conclusion. De même, certaines études ne prennent en compte que la fréquence du brossage (paramètre quantitatif) en délaissant l’aspect qualitatif, qui semble tout aussi fondamental.
Il ressort de ces études que la fréquence de brossage n’influence pas la présence des protozoaires et agirait même en sens inverse.
En effet, les parasites vivraient au niveau des collets dentaires ou dans les cryptes amygdaliennes, hors de portée de la brosse à dent qui de plus, serait un excellent vecteur de transmission des protozoaires (5, 8)
Pour Omnes et coll. 1975 (9), une mauvaise hygiène autoriserait un parasitisme à 35,7 % qui se réduirait à 14,7 % après reprise d’une bonne hygiène. Cambon et coll. 1979 (7) ne notent pas de différence significative en présence d'une bonne ou d’une mauvaise hygiène (respectivement 84 % et 87 % d'individus parasités). Enfin, Entamoeba Gingivalis serait retrouvée seulement chez 19 % des sujets présentant une légère quantité de tartre, pour atteindre un taux de 69 % chez ceux ayant de grandes quantités de tartre (10).
Il parait évident que de telles évaluations empiriques (tant sur le degré d’hygiène buccale, que sur la quantité de plaque) aboutissent à des résultats hasardeux, difficilement interprétables car non comparables à ceux d’autres études, et démontrent les limites de ces données. De plus, il convient de noter l’absence de travaux récents en ce domaine, qui ne nous permet pas de corréler les données aux acquis récents de la microbiologie parodontale.
Néanmoins, une étude a évalué l’hygiène buccale grâce à l'indice d'hygiène simplifié de Green et Vermillon (Simplified Oral Hygiene Index ou OHIS ,1964) qui représente la somme des indices moyens de plaque et de tartre établis d'après l'évaluation chiffrée des dépôts sur certaines dents prédéterminées (6).
Si la fréquence d’Entamoeba Gingivalis est stable pour les indices d’hygiène de 1 à 5 (50 %), Trichomonas Tenax croit progressivement et dans des proportions élevées (de 11,5 à 43,3 %). Mais quelle que soit la valeur de l’indice, la fréquence d’Entamoeba Gingivalis est toujours supérieure à celle de Trichomonas Tenax, dans des proportions de 1 à 30 selon Lyons et coll., 1984 (11).
Il en ressort que l'endémie augmente de façon progressive au fur et à mesure que l'OHIS atteint ses valeurs maximales, suggérant une corrélation directe entre une mauvaise hygiène bucco-dentaire et l'infestation aux protozoaires buccaux.
La maladie parodontale :
S’il existe une grande variation de résultats entre les différentes études, les auteurs s’accordent sur le fait qu’un parodonte sain autorise le maintien du taux d'infestation à l'Entamoeba Gingivalis au plus bas : 10.35% (3), 16.2% (9), 17% (12) et 40% (6). Peu de données sont disponibles sur Trichomonas Tenax, présent à 13 % dans des cavités buccales supposées saines (6).
Dès l’apparition d’une gingivite, la fréquence des parasites croît irrégulièrement : 57,3 % d’Entamoeba Gingivalis et 32,3 % de Trichomonas Tenax pour atteindre des taux supérieurs lors de la parodontite : 54,8 % d’Entamoeba Gingivalis et 38,5 % de Trichomonas Tenax (6). Si Entamoeba Gingivalis est fréquemment associée aux gingivites et aux parodontites dans des proportions variables selon les auteurs (9), Trichomonas Tenax voit son taux tripler en cas d’atteintes du parodonte profond.
Il a donc été observé que plus la maladie parodontale progresse, plus le nombre de protozoaires augmente. Comme observation n’égale pas corrélation, il ne peut être attribué aux parasites buccaux un rôle déterminant dans la pathogenèse des maladies parodontales. De plus, la dérive anaérobie (13) caractérisant le passage à une atteinte des tissus parodontaux profonds, n’instaurerait-elle pas un milieu propice au développement de ces protozoaires buccaux anaérobiques ?
Une récente étude menée sur 62 adolescents guatémalais, réfute toute association significative entre la présence d’Entamoeba Gingivalis et l’augmentation de la profondeur de poche : Odds ratio = 0 (14).
Force est de constater que la plupart de ces études ont été menées sur un seul échantillon de plaque prélevé par individu, ce qui ne peut être considéré comme scientifiquement valable, la maladie parodontale pouvant affecter certains sites de façon plus agressive, et ce, au sein d’une même bouche.
Estimant ce paramètre d’importance majeure, Linke et coll. en 1989 (4), ont utilisé 10 sites de prélèvement sur leurs 10 patients présentant une parodontite avancée. Sur les 100 échantillons étudiés, la prévalence d’Entamoeba Gingivalis est de 29 % dans les sillons gingivo-dentaires de 1à 3 mm de profondeurs et de 71 % dans les poches parodontales de 4 à 9 mm.
Là encore, ces données sont à corréler avec l’environnement anaérobique des poches parodontales profondes, favorables au développement des parasites.
A ce stade, il convient de noter que l’ensemble des résultats sont issus de prélèvements de plaque, mis en culture et observés au microscope : s’ils déterminent la prévalence des parasites au sein de la plaque, ils ne mettent pas en évidence leur prévalence au niveau des tissus parodontaux. Cette remarque prévaut également pour les bactéries à l’exception des stades ultimes de la maladie.
Afin de palier à ce manque, Gottlieb et coll. ont réalisé en 1971 (15) des coupes histologiques du parodonte de dents à extraire, sur 16 patients dont les prélèvements de plaque sont positifs à l'Entamoeba Gingivalis. Ce protozoaire a été retrouvé dans 63 % des coupes réalisées, avec une fréquence supérieure chez les individus présentant une parodontite avancée, que ceux présentant une parodontite modérée (respectivement 90 % et 17 % d’amibe).
Entamoeba Gingivalis est retrouvée au sein de la plaque, en regard de l’épithélium gingival et sulculaire mais ne pénètre pas les tissus parodontaux. Elle est entourée d’hématies, de polymorphonucléaires et de bactéries : ces cellules sont également visibles au sein de ses vacuoles cytoplasmiques.
Donc en l’absence d’invasion tissulaire, des preuves sur la production d’enzymes protéolytiques par Entamoeba Gingivalis seraient essentielles afin de justifier sa pathogénicité au niveau parodontal.
II.2 Moyens de détection des parasites buccaux
Pour la totalité des études précédentes prises en compte, seules des observations morphologiques ont été menées pour identifier l’amibe.
Le risque de confusion avec d’autres organismes cellulaires tels que de simples macrophages est alors non négligeable (16). La raison pour laquelle aucune de ces études n’a fait appel à des techniques d’identifications immunologique et/ou microbiologique, s’explique par la difficulté à maintenir Entamoeba Gingivalis in vitro.
A l’heure actuelle les recherches s’orientent sur des approches plus spécifiques de la détection génomique des micro-organismes : sondes PCR.
Ainsi Kikuta et coll. 1996 (17) ont mis au point une paire d'amorces faites d'oligonucléotides d'après la séquence des nucléotides du gène codant l'ARN ribosomal de la petite sous-unité (SrRNA) de l'Entamoeba Gingivalis. Par réaction en chaîne de la polymérase, ces amorces ont amplifié un fragment d'ADN de 1.4 kb et se sont révélées spécifiques pour Entamoeba Gingivalis excluant d'autres protozoaires.
Par cette méthode, il a été possible de détecter avec précision l'ADN d'Entamoeba Gingivalis.
Les premiers résultats de ces recherches basées sur une détection génomique montrent une prévalence de l’amibe moindre dans les dépôts de plaque que pour les précédentes études basées uniquement sur l’aspect morphologique.
III/ INFESTATION AUX PARASITES ET MALADIES PARODONTALES : EXISTE-T-IL UN LIEN DE PATHOGENICITE ?
Si pour de nombreux auteurs, Entamoeba Gingivalis et Trichomonas Tenax demeurent des commensaux inoffensifs de la cavité buccale vivant en saprophytes, pour certains autres, ils sont en rapport direct avec l’installation ou l’aggravation de la maladie parodontale.
Ces dernières années, les progrès en bactériologie et en immunologie ont permis d’affiner les connaissances sur les mécanismes étiopathogéniques du développement des maladies parodontales. Il semble indispensable de rappeler ces notions « evidence-based » (fondées sur la preuve) afin de les corréler aux données disponibles plus aléatoires sur les parasites buccaux, pour en déduire un éventuel lien de cause à effet.
Il est actuellement reconnu que les parodontopathies sont des maladies infectieuses à manifestation inflammatoire, d’étiologie plurifactorielle, résultant d’un déséquilibre entre la flore bactérienne et les défenses de l’hôte. L’évolution des connaissances a permis de préciser les espèces bactériennes capables d’initier et de faire progresser les différentes maladies parodontales, aboutissant à l’hypothèse de plaque spécifique. Ces bactéries parodontopathogènes sont souvent associées en complexes bactériens (18), potentialisant leurs facteurs de virulence et autorisant leur organisation en biofilm. Ce dernier leur permet d’acquérir une résistance accrue vis-à-vis de l’hôte et des différentes thérapeutiques chimiques.
Pour être qualifié de « parodontopathogène » un micro-organisme doit remplir les 5 critères édictés par Socransky et coll. en 1979 (19):
1) être présent dans les sites malades,
2) observer une réponse positive suite à l’élimination de l’agent potentiel,
3) être capable d’induire des lésions dans le modèle animal,
4) produire des facteurs de virulence
5) stimuler la réponse immunologique de l’hôte.
La validation du postulat selon lequel les parasites buccaux seraient liés à l’étiopathogénie des maladies parodontales, passe inévitablement par la validation des critères précités.
1) Il a été démontré que les protozoaires sont retrouvés conjointement dans les sites malades et dans les bouches saines : des auteurs les considèrent comme des commensaux inoffensifs faisant partie de l'écologie des cavités buccales saines ou malades. Leur fréquence plus élevée lors de certaines affections pourrait alors s'expliquer par le fait qu'ils trouvent un milieu plus propice à leur croissance et à leur multiplication, au vu de leur comportement anaérobique. Toutefois, ceci ne permet pas d'exclure un potentiel pathogénique des protozoaires car il est possible d'évoquer ici, comme dans d’autres affections humaines d’origine virales ou microbiennes, l’existence de sujets sains porteurs du pathogène, et d’autres malades porteur du même pathogène.
Pour certains, les patients en parfaite santé parodontale exempts de saignements gingivaux, ne présentent pas de parasites et ceux-ci se retrouvent le plus souvent et en plus grand nombre chez des patients présentant une gingivite ou une parodontite (20) : cependant, si la fréquence de l’association parasites/maladie parodontale peut être validée, sa spécificité et à forciori le lien de causalité dans cette association n’est pas démontré. Des analyses multivariées seraient nécessaires pour conclure sur l’impact des parasites sur la maladie parodontale.
2) L’élimination d’Entamoeba Gingivalis et l’ablation du tartre résiduel, associés au suivi microscopique, entrainent la diminution des signes cliniques de la maladie et amènent à une guérison rapide des parodontites chroniques et agressives (20).
Mais peut-on affirmer que seuls les protozoaires ont été éliminé ? Quelque soit le traitement mis en œuvre, il ne peut être spécifiquement ciblé contre les protozoaires buccaux et agit également sur les bactéries anaérobies de la flore, soit directement : antibiothérapie locale, systémique, ou préparation chimique à base d’eau oxygénée et bicarbonate soit indirectement : lors du débridement parodontal par l’instrumentation mécanique, qui désorganise le biofilm, aboutissant à des bactéries sous la forme planctonique originelle désormais susceptibles et faibles vis-à-vis de l’hôte et des thérapeutiques.
Le même type de raisonnement a été mené au sujet du métronidazole, connu pour son activité anti-parasitaire. Son pouvoir d’éradication de certaines affections bucco-dentaires (gingivite ulcéro-nécrotique, péricoronarite, cellulites périmaxillaires…), a aboutit à certaines déductions hâtives sur une relation de cause à effet entre développement de ces affections et protozoaires buccaux (5,11).
En effet, cette substance possède un large spectre d'action sur les bactéries anaérobies, généralement très impliquées dans la plupart de ces affections (21,22) infirmant alors toute preuve formelle de pathogénicité des parasites. De plus, pour être efficace vis à vis des parasites, le métronidazole doit être prescrit sur une durée minimum de 15 jours.
Ces arguments thérapeutiques ne permettent donc pas d’incriminer les protozoaires dans certaines pathologies parodontales tant que la place qu’ils occupent au sein de la flore n’est pas précisée.
3) A l’heure actuelle, il ne semble pas que des essais d’inoculation d’Entamoeba Gingivalis ou de Trichomonas Tenax sur des animaux de laboratoire aient été réalisés, afin de prouver leur capacité à induire des lésions.
4,5) Egalement, des contaminations de cellules en culture in vitro seraient nécessaires afin d’étudier les éventuels facteurs de virulence et d’analyser la réponse immunologique de l’hôte.
IV / DISCUSSION
A ce jour, aucune publication scientifiquement fiable n’a validé un seul des postulats de Socransky concernant les protozoaires buccaux.
Les hypothèses de pathogénicité de ces parasites proviennent davantage de suppositions faites par les auteurs de quelques rapports de cas, ou d’études aux faibles échantillons, sans groupe contrôle, avec des observations dont la puissance statistique n’est pas démontrée, et qui s’appuient dans la majorité des cas sur une identification microscopique hasardeuse des pathogènes.
Les quelques auteurs, qui défendent et surestiment probablement l’implication des parasites buccaux dans le développement des maladies parodontales, ont décrit certaines hypothèses sensées expliquer le mécanisme d’action de ces organismes :
Grâce à leurs protéines de surface, les amibes adhèreraient aux cellules cibles, formeraient des pores à leur surface, et les détruiraient par l’intermédiaire de leurs enzymes protéolytiques cytoplasmiques. Ces enzymes pourraient entretenir et aggraver la maladie parodontale (14) et les multiples vésicules de phagocytose et de pinocytose seraient suffisantes pour maintenir un état irritatif chronique adjuvant (11, 23).
De plus, Entamoeba Gingivalis serait capable de phagocyter des hématies : certains auteurs s’appuient sur cette compétence commune avec Entamoeba Histolytica Histolytica (dont la pathogénicité est bien établie au niveau du tube digestif), associée à une similitude morphologique, ultra structurale (2), phylogénique (elles proviennent du même rameau de différenciation) pour justifier du rôle pathogène d’Entamoeba Gingivalis. Toutefois, cette analogie de caractère phénotypique (morphologie) ne peut, par extension, aboutir à une analogie de pathogénicité (virulence).
Les parasites buccaux auraient un pouvoir d’inactivation et de phagocytose des polymorphonucléaires, limitant les mécanismes initiaux de la réaction immunitaire de l’hôte.
Enfin, le métabolisme de l’amibe pourrait créer un environnement favorable au développement d’autres organismes pathogènes (2). Comme Entamoeba Histolytica est vectrice de virus (24), son analogie avec Entamoeba Gingivalis a induit l’hypothèse selon laquelle cette amibe pourrait servir de vecteur aux bactéries parodontopathogènes voire même aux virus (4).
Depuis peu, un nombre croissant d’études s’attachent à l’implication potentielle de virus (particulièrement le virus de l’Herpès) dans la primo-infection parodontale.
En effet, certains auteurs décrivent un taux abondant de virus herpétiques tels que HSV-1 (Virus Herpès Simplex) , EBV-1 (Virus d’Ebstein-Barr), dans des échantillons de plaque prélevés sur des patients atteints de parodontites chroniques sévères (25) ou agressives (26). La présence de ces virus serait statistiquement associée à la présence d’un taux élevé de certaines bactéries parodontopathogènes (Porphyromonas Gingivalis, Tannerella Forsythia). L’infection virale activerait l’expression de médiateurs viraux et pro-inflammatoires, initiant la détérioration des défenses immunitaires de l’hôte, autorisant alors l’augmentation des bactéries parodontopathogènes et à terme, la progression de la maladie parodontale. Ces données ont été récemment confirmées : certains virus peuvent subir un mécanisme d’internalisation (connu jusqu’à présent pour les bactéries) dans les amibes, grâce à un phénomène de phagocytose (27). Cette observation conforte l’hypothèse selon laquelle les agents viraux seraient capables de survivre et de se répliquer dans les amibes. A ce titre, ces parasites pourraient servir de vecteur aux virus, en les transportant au plus profond des poches parodontales. Ce phénomène permettrait d’éluder certains mécanismes de survenue des maladies parodontales, non encore identifiés. Cependant, ces hypothèses nécessitent des investigations cliniques supplémentaires afin d’être validées.
V/ CONCLUSION
Les parasites sont retrouvés dans le milieu buccal, aussi bien chez les patients atteints ou non de maladie parodontale. Toutefois, leur taux semblerait supérieur dans les poches parodontales profondes, du fait de leur comportement anaérobique.
Des preuves scientifiques sont encore nécessaires pour valider la pathogénicité des parasites buccaux, dont l’observation chez les individus atteints de parodontite ne peut être rapportée à un lien de causalité.
De plus, l’absence d’études cliniques récentes, ne permet pas de corréler les données aux acquis récents de la microbiologie parodontale.
Enfin, la diversité des échantillons, des méthodes d’analyses, le manque de standardisation des études existantes, interdit toute comparaison entre elles.
De nouvelles investigations, via des études multicentriques utilisant des moyens de détection récents et précis, doivent être mise en place pour clarifier les relations entre parasites et maladies parodontales.
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